Marianne Herjean

PELERINAGES PARTICULIERS

Série de dessins / photographies argentiques

craie grasse, crayon, collage sur papier

21*29,7cm

"Chacun de nous, rêve de pèlerinages particuliers"

Essai rédigé en mars 2014



Je pose les conditions du terme paysage. Le paysage n ́a pas de limite. Sa géographie est totale. Ces frontières en négatif révèlent les espaces de chaque côté. L ́attachement reconnaît le paysage. Je le nomme, je le ressens, il existe. Il n ́y pas de paysage sans moi.


Le paysage définit des termes génériques pour nommer des paysages spécifiques. La forêt ou le centre commercial. Gwenaelle et l’étang de la Loy à Saint-Thibault-des-Vignes, dans la vallée de la Brosse. Voici l ́étang de Gwenaelle. Jean Christophe Bailly parle de «fonction». La «fonction ville», c ́est-à-dire la somme des éléments qui caractérisent l ́émotion que procure le paysage de la ville. Mais comme chaque ville est différentes, chaque paysages contient ses fonctions originales.


L ́attachement est un mouvement à plusieurs échelles. Il se crée par une relation intime avec le paysage grâce à un processus : l ́immédiateté. Hélèna Villovitch, dans L ́immobilier, affirme que «Des lieux nous habitent peut être plus que nous les habitons nous-même.» Il y a la visite; la première fois que je vois, que je suis avec le paysage. La relation est physique, le corps entier est mis en relation. Puis la translation: le paysage se verse en moi et je me verse en lui. Le sens reste en suspend.


Mais ce mouvement d ́appropriation se fait aussi à posteriori. La réalité de l ́attache s ́impose à travers le retour et la conscience de mon attachement. Jean Christophe Bailly parle de «prolifération de repères qui viennent alerter ma mémoire». Je suis saisie par le paysage, parce je le reconnais ou parce qu ́il me renvoie précisément à lui.


«On croit que l ́on va faire un voyage mais en réalité c ́est le voyage qui fait le voyageur», écrit Nicolas Bouvier dans L’ usage du Monde. L ́attachement est notre premier désir. Il façonne notre personnalité, notre rapport au monde, nos comportements. Nous avons besoin de ce mouvement vers le paysage. 


L ́attachement est une autre forme de mémoire. C ́est le ressenti translucide de notre inconscient. C ́est la mémoire sans souvenir, la mémoire incorporé. La difficulté de l ́attache se trouve dans sa retranscription. Jean Christophe Bailly affirme que «ce qui est étrange c ́est le mystère de la tonalité locale, facile à capter mais difficile à caractériser»


Ce qui nous lie de façon si virulente à un paysage pose ses conditions. La constance est la première. La régularité, la fréquence de la relation avec le paysage entretenu . Michel Malherbe à propos de la maladie d ́Alzheimer, écrit que « la mémoire est constitutive».La seconde condition nécessite donc d ́avoir une mémoire, une conscience de soi et donc du paysage. Lorsque de l ́affect et des affects sont mis en jeu dans la perception du paysage, ce dernier se fait alors miroir de notre subjectivité. Cette relation se forme aussi lorsque le sujet associe son attache à un événement particulier: il est presque toujours marquant, doux, hypnotisant ou collectif.


Le paysage réunit, se transmet. Jean Christophe Bailly site lors d ́une promenade dans Central Park qu ́un coin de paysage peut brusquement renvoyer à plusieurs milliers de kilomètres. 


L ́attache peut nous donner un prétexte à protéger, de la standardisation, du profit à outrance sur le paysage. L ́attachement «rend notre propre personne au monde moins arbitraire», écrit Pierre Sansot dans Variation Paysagère.
Si l ́immeuble disparaît l ́ombre aussi, la rue prend la lumière, la scénographie est bâclée. Il ne reste alors que le sol et le ciel: l ́emplacement. 


Chacun de nous, rêve de pèlerinages particuliers.


Essai rédigé en mars 2014

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